Interview au quotidien Al Balad
Dans un entretien exclusif accordé à AlBalad, l’ambassadeur de France Denis Pietton, a exprimé les positions de la France, s’agissant des rumeurs médiatiques sur une éventuelle « crise libanaise » à venir. Il a renouvelé la confiance des autorités françaises en la justice internationale, estimant que celle-ci n’était pas responsable des tensions exacerbées, qui divisent les Libanais. Il a en outre rappelé son attachement au pays du Cèdre, réaffirmant un soutien politique à toute épreuve, et développant la stratégie française en faveur de l’« indépendance » du Liban. Il a encouragé la dynamisation des relations économiques et culturelles entre les deux États. Il a également exprimé le souhait de la diplomatie française, de se voir reconnaitre un rôle plus actif, dans les négociations directes et indirectes au Proche-Orient.
Q : Compte tenu de la situation, où en sont les relations politiques de la France et du Liban ?
R : M. Kouchner est venu il y a une semaine. Il a rencontré tous les responsables des partis politiques à l’exception de Monsieur Berry. Le général Aoun sera reçu à Paris lundi. Nous sommes attachés à recevoir prioritairement les présidents. Nous avons reçu M. Sleimane qui s’est rendu en visite d’Etat à Paris. Nous avons également rencontré le Premier ministre Saad Hariri et le président de l’Assemblée nationale Nabih Berry. Le président de la République a considéré qu’il serait utile de recevoir les chefs des partis politiques libanais, qui en exprimeraient la demande. Le général Aoun a d’ores et déjà formulé ce souhait, Samir Geagea et le président Amine Gemayel également. D’autres comme Walid Joumblatt pourraient manifester ce vœu. La configuration au Liban nous conduit à rencontrer toutes les formations politiques sans exception.
M. Kouchner a rappelé l’attachement de la France au TSL, en même temps, nous ne sommes pas aveugles ni sourds. Ce principe étant posé, nous sommes conscients qu’il y a une angoisse réelle dans ce pays. Nous devons tout faire pour que la stabilité du Liban soit maintenue, mais pas au prix du TSL.
Q : A la suite de l’intervention télévisée de Sayyed Hassan Nasrallah, une question est soulevée : l’accord de Taëf est-il perçu par l’Etat français, comme un accord définitif ?
R : Il y a eu un certain nombre d’interprétations et de confusions sur le sujet. Qu’il soit bien clair, que lors de la visite de Monsieur Kouchner, il n’a été à aucun moment question d’un Taëf 2. Je peux le confirmer dans la mesure où j’ai assisté à toutes les réunions. S’il y a une demande émanant de tous les Libanais pour que la France intervienne au moment opportun, on sera prêt à envisager toutes les options. Pour l’instant, il n’y a rien qui ressemble à une quelconque idée française sur un accord Taëf 2, en premier lieu parce que Taëf 1 n’a pas été appliqué. Il y a un consensus libanais sur Taëf dont nous devons tenir compte, tout le monde se réfère à Taëf. Avant de passer à un Taëf 2, il faut dresser le bilan de ce qui a fonctionné ou pas dans Taëf 1.
Q : Il y a une grande polémique autour de Jacques Chirac, notamment en ce qui concerne la 1559, les propos de Moustapha Hamdane qui ont avancé que Jacques Chirac était un faux témoin, qu’est ce qui se passe autour de lui, de Georges Bush, de ce plan qui devait diviser les communautés sunnites-chiites....
R : Je ne peux commenter tout ce qui s’écrit dans un livre que je n’ai même pas lu. Ce que je sais, c’est qu’à un certain moment dans l’élaboration de la résolution 1559, la France a sans doute joué un rôle, les États-Unis également, mais dans un contexte qui n’a plus rien à voir avec le contexte actuel. La résolution a été votée et elle est toujours à l’œuvre. Chacun sait qu’au Liban, il y a un débat sur cette résolution. Certains considéreront que la 1559, a été mise en œuvre avec le retrait syrien. La réalité est ailleurs. Elle n’a pas été complètement appliquée. A l’époque, Jacques Chirac était président, aujourd’hui, on est dans une autre configuration. On est en présence d’un gouvernement d’union nationale, et il y a aussi le dialogue national. Je pense que ceux qui reviennent à l’époque du président Chirac et de la résolution 1559 veulent parler de la situation actuelle, mais les enjeux d’aujourd’hui sont différents.
Q : Pour en revenir à la sécurité, le Liban est-il réellement en danger, comme l’a laissé entendre le chef de la diplomatie française, avant de rentrer à Paris ?
R : Ce qui me frappé depuis ma prise de fonction, c’est l’attente des Libanais de l’hypothétique crise ou guerre. Comme je l’ai exprimé à plusieurs reprises, il y a la réalité que l’on peut analyser avec le maximum de sérénité. D’aucuns pensent que la région est au bord du conflit, parce que le processus de paix ne progresse pas. Cela crée un sentiment d’insécurité qui n’est pas nouveau au Liban. Il y a aussi beaucoup d’appréhension –par rapport à l’acte de mise en accusation. Le problème a été formulé par Monsieur Kouchner : Est-ce que le Liban se portera mieux à terme, s’il n’y a pas le TSL et l’acte d’accusation, ou si la justice internationale peut faire son travail ? La réponse de la France c’est que l’on ne peut pas aujourd’hui accepter que l’impunité s’installe dans le monde. Il peut y avoir un malaise par rapport à la justice internationale parce qu’elle dérange, mais il faut aller jusqu’au bout parce que l’avantage que l’on en tirera, est supérieur à l’inconfort que procure temporairement cette situation.
Q : Est-ce que la solution pourrait venir d’un La Celle Saint-Cloud 2 ?
R : J’ai vu des rumeurs de presse sur le sujet. Tout ce que je peux affirmer, c’est que ce sujet n’a pas été évoqué explicitement par Monsieur Kouchner. S’il y a un accord des différentes formations libanaises, pour une telle action le moment venu, pourquoi pas ? On reste aujourd’hui dans le domaine de l’hypothétique. La France est toujours disposée à aider le Liban à maintenir sa stabilité et à renforcer ses institutions. Si ce genre de réunion peut aider le Liban, nous serions prêts à l’envisager, à condition d’avoir le consentement de toutes les parties. Pour l’instant, les conditions ne sont pas réunies.
Q : Comment décrivez-vous votre réunion avec le numéro 2 du Hezbollah, Cheikh Naïm Kassem ? Avez-vous réussi à obtenir des garanties sur la sécurité du contingent français de la FINUL ?
R : C’est la deuxième fois que j’ai rencontré Naïim Kassem. Cela a été un dialogue franc et courtois, l’occasion pour lui de donner la vision du Hezbollah, et pour moi de donner la vision de la France. Ce sujet a été évoqué par M. Kassem. Mon état d’esprit, n’était pas lors de cet entretien, de traiter cette question exclusivement. C’est un sujet qui nous intéresse, qui concerne la stabilité régionale mais ce qui est plus important pour moi, c’est la stabilité du Liban. Je ne suis pas allé le voir, pour avoir de quelconques garanties, ce n’était pas mon objectif. Je crois, que la FINUL est très importante. Elle est acceptée par toutes les formations. Il y a un consensus libanais pour que la FINUL continue à mettre en œuvre sa mission et appliquer la résolution 1701. Elle a apporté durant ces 4 dernières années de la stabilité au sud-Liban malgré les incidents de cet été.
Q : Pourquoi n’avez-vous pas rencontré le secrétaire général du Hezbollah ?
R : Le Hezbollah a suggéré que je rencontre Monsieur Naïm Kassem.
Q : Comment la France interprète ce refus ?
R : Ce n’est pas une affaire de personnes. Le Hezbollah est un parti structuré organisé. Le messager qui délivre la parole du parti, importe moins que le message en lui-même. A travers Naïm Kassem, le Hezbollah a fait passer son message.
Q : Pensez-vous que les craintes du 8 Mars sont fondées, par rapport aux éventuelles conséquences, qui résulteraient de la mise en accusation ?
R : Le problème n’est pas le TSL en tant que tel. Le tribunal est là pour travailler sereinement de façon indépendante. Il est motivé par la recherche de la vérité. Ce n’est pas lui qui pose problème. Ce qu’on peut relever comme signe de nervosité, est le produit d’une dynamique régionale ou strictement libanaise, mais le TSL n’est pas responsable des tensions que connaît actuellement le Liban.
Q : Il y a des rumeurs médiatiques selon lesquelles, au moment de la visite de Berry en France, le président lui aurait proposé un deal notamment s’agissant du TSL, que Monsieur Berry aurait refusé. De quoi s’agit-il ?
R :Je n’en vois pas le fondement. Il n’y a pas d’accord secret passé entre la France et un quelconque protagoniste de la scène libanaise.
Q : On sait que la France est « amie » du Liban. Quels moyens et-elle en œuvre, pour contenir la situation relative à nombre de questions, notamment l’affaire des faux témoins, l’acte d’accusation... Sachant que tout le monde parle d’un accord syro-saoudien, pour éviter le déclenchement d’une situation précaire. Concrètement, où se situe la France dans cette configuration instable ?
R : La France est à la recherche d’une solution, qui préserve les principes relatifs au tribunal, et qui, en même temps, tienne compte de la réalité sur le terrain. Nous avons des contacts approfondis avec les Saoudiens, les Syriens, les Égyptiens, les Américains ; tous ceux qui peuvent dans la conjoncture actuelle, participer à un certain apaisement de la situation. Il y a un rôle pour l’Arabie saoudite et la Syrie dans le jeu politique local. C’est pour ça que la France s’est rapprochée de ces deux pays.
Q : Est-ce que la question des faux témoins perturbe la France, sachant que Zouheir el-Siddiq s’est longtemps retrouvé sur le territoire français ?
R : Ce n’est pas un sujet qui perturbe la France. C’est un sujet qui est au cœur de l’actualité libanaise. Ce qui me frappe dans le débat aujourd’hui, c’est que beaucoup de repères semblent perdus. On ne sait plus ce qu’est un faux témoin. Y aurait-il des faux témoins, quelle a été leur influence éventuelle ? Je constate que le TSL a estimé qu’ils ne contribuaient pas à faire avancer son enquête. Il y a aussi une dimension libanaise, qui ne relève pas de la justice internationale. La solution doit être trouvée dans le cadre libanais. Au final, l’essentiel est que les institutions fonctionnent.
S’agissant du rôle de la France au Proche-Orient, on a pu remarquer que sur le dossier des négociations israélo-palestiniennes, au moment de la visite de Mahmoud Abbas en France, le président Sarkozy a décrié la méthode Obama, pour tenter de lui substituer la solution du multilatéralisme dans le cadre de l’UPM.
Sur le plan des négociations israélo-syriennes, le Président français a exprimé à plusieurs reprises, le souhait de jouer le rôle d’intermédiaire, bien que Damas ait laissé entendre qu’Ankara reste son interlocuteur privilégié.
Q : La France comme l’UE, semblent avoir perdu leur poids politique dans la région. Quelle est la stratégie actuelle de la France au Proche-Orient ?
R : Il y a une énorme frustration par rapport au piétinement du processus de paix, les efforts américains n’ont pas été couronnés de succès. Les positions d’Israël sur la colonisation ne sont pas acceptables, mais personne pour l’instant n’a de solution miracle. Les Américains finiront peut-être par la trouver. Mais si nous devons venir au soutien de ces négociations, nous le ferons volontiers. Si l’UPM peut servir, pourquoi pas ? Le schéma idéal pour le Liban, ce sont les négociations de Madrid. Nous ne sommes pas contre cette approche, mais ce n’est pas celle privilégiée par les Américains. Il fallait leur donner leur chance. Si une approche plus globale abordant à la fois les volets palestinien, syrien et libanais était choisie, nous n’y verrons pas d’inconvénient. Sur le volet syro-israélien, jusqu’à présent, c’était la Turquie qui jouait ce rôle de facilitation, nous sommes encore disponibles, car la détérioration de la relation entre Israël et la Turquie rend difficile la poursuite de cette mission. Nous sommes là pour aider à préserver l’acquis, auquel sont arrivés les Turcs et essayer de faire progresser les choses. Cette mission est en cours, et n’a pas abouti pour l’instant.
Q : Pensez-vous que le bloc centriste sera capable de résister aux pressions du conflit dans la période prochaine ?
R : J’ai toujours accordé beaucoup de crédit au rôle que pouvaient jouer Walid Joumblatt, Nabih Berry et bien sûr le président de la République. Je pense que leur positionnement sur la scène libanaise, peut permettre de maintenir la situation sous contrôle, dans le cadre du gouvernement d’union nationale. C’est pour cette raison, que l’on a trouvé beaucoup d’intérêt dans la visite de M. Berry en France.
Q : Est-ce qu’il y a une coopération franco-américaine en ce qui concerne le Liban ? Pourquoi est-ce que le pays du Cèdre figure sur l’agenda américain aujourd’hui ?
R : Il est normal que nous ayons des concertations avec les Américains sur tous les sujets. Nous ne pouvons pas exclure le Liban, parce que ce sont nos alliés. Je pense aussi que Washington porte une responsabilité globale, tout comme nous, parce que nous avons une connaissance du Liban et de la région qui peut également être utile aux Américains. Nous avons beaucoup de sujets à partager avec eux. Mais cela ne veut pas dire que l’on soit forcément d’accord sur tous les dossiers. Preuve en est : nous n’avons pas été d’accord sur la guerre en Irak. Effectivement nous soutenons les efforts américains par rapport à la voie palestinienne. En même temps, nous souhaitons que les Européens aient plus voix au chapitre sur ce sujet-là, parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes les premiers contributeurs de l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui il est prouvé qu’aucune puissance, quelle qu’elle soit, même avec les meilleures intentions, ne peut apporter toute seule une réponse.
Q : Pourquoi n’y a-t-il pas un plan français efficace, quant au renforcement militaire de l’armée libanaise ? Nous avons l’impression que c’est une mission réservée aux Américains.
R : Notre coopération avec l’armée libanaise est ancienne. Elle se maintient à un niveau élevé. En termes de dépenses, c’est la deuxième ou troisième priorité mondiale. Alors que nous réduisons nos crédits de coopération militaire, nous avons maintenu ces crédits avec le Liban à hauteur de 2 millions d’euros. Il y a eu des propositions d’amélioration du parc d’hélicoptères. Il y a des Pumas qui vont être livrés. Certains sont déjà utilisés par l’armée libanaise. Nous avons fait une proposition de remise à niveau pour une cession à des conditions non commerciales, de Gazelles à l’armée. Nous avons proposé d’offrir une centaine de missiles Hot. Pour l’instant, c’est un sujet qui est en discussion avec les autorités libanaises, qui n’ont pas encore pris de décision, tout simplement. Le Liban n’a malheureusement pas un budget d’équipement important. Il est de l’ordre de 20 millions de dollars par an. Ce sont des moyens très limités.
Q : Existe-t-il des contraintes internes qui entravent ce genre d’aide ?
R : Le président de la République était très clair quand il a reçu le Premier ministre Saad Hariri. Nous ne pouvons pas tenir un langage sur l’indépendance du Liban et en même temps, lui refuser les moyens de sa défense. Nous sommes pour le renforcement de l’armée. Nous sommes prêts à faire des gestes là-dessus. J’espère que l’on va faire des progrès un jour, il ne faut jamais désespérer.
Il existe un plan d’équipement de l’armée libanaise, qui a été mis au point par les responsables libanais. Nous sommes au courant du contenu et nous sommes prêts à participer à ce plan. Il faut évidemment que l’on se mette d’accord sur les modalités, mais nous n’avons pas de restrictions politiques particulières. Le Liban doit montrer qu’il est prêt à investir dans son armée. Elle représente la nation. En ce qui concerne les armes de la Résistance, il y a un dialogue national. L’usage de la force devra à un moment revenir à l’Etat. En tous cas, cela devrait être l’objectif. Je crois qu’il n’est contesté par personne.
Q : Si nous possédons une armée puissante, alors pourquoi cette stratégie de défense ?
R : Ce n’est pas un problème qui sera résolu en 24 heures.
Q : Par rapport à la position de la France sur la dénucléarisation de la région ?
R : Il y a eu un consensus sur lequel nous nous sommes ralliés. La question sera évoquée en 2012 dans tous ses aspects. Je ne sais pas comment le dossier va évoluer. C’est un résultat important, un élément nouveau.
Q : Au sujet du dossier du gaz offshore, est-ce que la France pourrait jouer un rôle à ce niveau ?
R : Oui, une société comme Total serait intéressée. Simplement, il faut que tout l’environnement juridique libanais soit tiré au clair. Il y a une loi qui a été votée, mais il y a des obstacles qui n’ont pas encore été franchis. Lorsqu’il y aura un appel d’offres, Total regardera s’il est intéressant. C’est un peu prématuré pour l’instant.
Q : En 2009, la France était numéro 2 sur la liste des partenaires commerciaux du Liban. Que faites-vous afin de renforcer les échanges commerciaux et économiques bilatéraux ?
R : Nous soutenons les entreprises qui s’implantent au Liban. Nous avons cependant vu une certaine décroissance, dans les investissements français au Liban depuis cinq ans, qui n’est pas catastrophique. Ce que nous voyons et nous encourageons comme évolution positive, c’est que des sociétés comme EDF, qui ne s’intéressait plus au marché libanais, est prête à y devenir beaucoup plus présente. ADPI a choisi d’établir son bureau régional au Liban. Ce qui me plaît dans le commerce extérieur de la France avec le Liban, c’est qu’il est précisément ce qui manque le plus à la France : un commerce courant, impliquant de nombreuses PME. Il y a une structure de base à ces échanges qui est extrêmement solide. Finalement, les modes de consommation français et libanais prouvent que ces deux pays sont assez proches. Il faudrait faire plus, pour équilibrer les échanges qui sont disproportionnés. Au niveau des chiffres, nous exportons un peu plus d’un milliard d’euros au Liban. Nous faisons trois fois plus de commerce avec le Liban qu’avec la Syrie. La coopération libano-française est centrée sur les institutions. Un groupe de travail a été mené entre les deux ministères de la justice, pour faire des brainstorming. Ils vont se réunir à plusieurs reprises, pour voir comment faire évoluer la loi en fonction de l’évolution mondiale.